Laissez la Macédoine intégrer l'Europe ! par Georgi Ivanov

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Laissez la Macédoine intégrer l'Europe ! par Georgi Ivanov

Georgi Ivanov est président de la République de Macédoine.

Publié dans "Le Monde" le 13 avril 2010

La France peut bien être (...) le cerveau de l'Europe, mais les Balkans en sont le coeur", écrivait, dans L'Usage du monde, Nicolas Bouvier, sans doute l'un des auteurs occidentaux les plus appréciés dans les Balkans. Il s'agit aujourd'hui de réunir le cerveau et le coeur de ce même et unique corps appelé Europe.

Alors qu'à la fin des années 1980, la chute du mur de Berlin avait ouvert l'horizon de l'espoir aux peuples des Balkans, les conflits effroyables qui se sont déroulés dans l'espace de l'ancienne Yougoslavie, les milliers de morts et de personnes déplacées, ont montré que l'histoire de l'Europe n'en avait pas fini avec les tragédies. Et nous avons tous compris que la vieille Europe avait besoin, tout comme elle l'a aujourd'hui, du souffle vital des pères de l'Europe nouvelle, tels que Robert SchumanJean Monnet ou Konrad Adenauer.

Nous devons nous inspirer de ces visionnaires qui ont fait disparaître les frontières en Europe et effacer celles qui enserrent encore les Balkans, pour que se réalise enfin le rendez-vous de l'esprit et du coeur, que le précurseur du fédéralisme européen Denis de Rougemont appelait de ses voeux.

Aujourd'hui, plus que jamais, les Balkans ont besoin de s'unir à l'Europe. Les expériences du passé montrent que notre région a connu la paix précisément lorsqu'elle n'a pas été enclavée. La pax romana et la pax otomana en sont les preuves historiques. Dans les circonstances actuelles, alors que pour la première fois de l'histoire, les gouvernements de tous les pays des Balkans sont démocratiquement élus, notre région éprouve de nouveau la nécessité de se désenclaver. Elle doit s'inscrire dans le projet européen, qui est, par définition, pacifique, autrement dit, la pax europeana. "Construire l'Europe, c'est construire la paix", disait Jean Monnet. J'ajouterais que le processus de pacification et de stabilisation de l'Europe ne peut pas s'achever sans la participation des Balkans.

Pour ce qui concerne mon pays, la république de Macédoine, il s'enorgueillit d'être un modèle de démocratie inclusive, fondé sur l'intégration et non sur l'assimilation, permettant aux nombreuses communautés ethniques qui y vivent de jouir de tous les droits et de toutes les libertés modernes. Ce modèle multiethnique construit au fil des siècles est, j'en suis convaincu, un modèle pour l'avenir, qui à la fois repose sur des valeurs universelles et respecte la diversité culturelle.

Quels sont les moteurs de ce modèle de société ? Ce sont des traditions profondément enracinées dans notre terre et dans notre histoire. Ce sont, ensuite, l'identité et la langue macédoniennes. Et, enfin, depuis l'indépendance du pays en 1991, ce sont les perspectives d'intégration euro-atlantique, qui constituent un facteur majeur de cohésion nationale et stimulent les énergies collectives.

Le patrimoine historique et culturel de la république de Macédoine est à même de contribuer au patrimoine historique et culturel de l'Europe moderne, dont il fait partie. L'identité de l'Europe moderne puise dans chacune de ses composantes et les magnifie, tout en leur permettant, dans leurs interactions, d'affirmer leur dignité pleine et entière. C'est du moins ainsi que mes compatriotes et moi-même voyons l'identité européenne : comme un lieu d'échange où chaque culture a quelque chose à donner, quelque chose à dire et où elle peut être entendue.

Néanmoins, lorsqu'il s'agit du droit des identités nationales à jouir de leur affirmation dans le paysage européen, il faut reconnaître que mon pays est laissé pour compte. Nous sommes au début du troisième millénaire et nous, les Macédoniens, devons faire face à des défis qui sont ceux du XIXe siècle, lorsque les Etats et les peuples luttaient pour leur reconnaissance nationale. On nous demande de renoncer au nom constitutionnel de notre pays, au nom de notre peuple, au nom de notre langue, pour pouvoir continuer notre marche sur le chemin du progrès et de l'intégration euro-atlantique. C'est une atteinte aux droits humains individuels de mes compatriotes, au droit de décider de notre identité, au droit à la dignité humaine.

Aucun Etat ne peut permettre que soient bafoués les droits de ses citoyens, ni de l'extérieur ni de l'intérieur. Il est impensable qu'un acte relevant du droit public constitue une ingérence dans la vie privée, dans le domaine des droits de la personne. Il est tout simplement inadmissible qu'une résolution ayant de tels effets soit acceptée et mise sur pied. Cela, l'Europe le sait très bien.

A l'exception du différend entre la Grèce et la Macédoine, je ne connais pas d'autres cas, en ce début de XXIe siècle, où quiconque essaie de renier à quiconque le droit de porter son nom. Du reste, aucun Etat au monde, à l'exception de notre voisin du sud, ne conteste notre identité et notre nom.

Les droits de l'homme sont aujourd'hui le mécanisme le plus puissant qui défend le sentiment d'appartenance, l'identité, l'autodétermination, la dignité. Les droits de l'homme sont les garants de l'affirmation et du respect des identités nationales. Nous devons tous nous unir autour de cette idée, de cette vérité. Celui qui ne la respectera pas sera démenti et isolé.

Les différends dans les Balkans peuvent se résoudre au sein de l'Union européenne qui est, elle-même, fondée sur l'idée de l'anéantissement des conflits entre d'anciens ennemis, ainsi que sur la libre circulation des hommes, des idées, des capitaux et des marchandises. Les Balkans trouveront dans l'espace européen la voie de leur prospérité, balisée par la tolérance et le respect de la diversité des identités. L'européanisation des Balkans sera un garant de la liberté et de la paix, autant pour la Péninsule que pour l'Union.

Tout nouvel abus du droit de veto de la part de la république hellénique, pour empêcher la république de Macédoine d'intégrer l'Union européenne et l'OTAN, serait un acte antihistorique et antieuropéen, car il pourrait nous entraîner dans le tourbillon des anachronismes politiques. "Le veto est à la fois la cause profonde et le symbole de l'impuissance à dépasser les égoïsmes nationaux", nous prévenait Jean Monnet. Ne l'oublions pas.

Au printemps 2003, nous avions reçu en Macédoine un grand écrivain français, le regretté Jacques Lacarrière. Au bord de Prespa, un lac partagé entre la Macédoine, la Grèce et l'Albanie, il avait prononcé dans les trois langues de ces pays une phrase qui résonne encore dans mon esprit : "Il est tout aussi important pour l'Europe que pour les Balkans de reconnaître que nous avons eu des milliers de passés différents, mais que nous avons un seul avenir commun."

par Georgi Ivanov, président de la République de Macédoine.

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